Analyste géopolitique et communicant politique, Régis Hounkpè est Béninois et vit entre Cotonou et Paris. Il est fondateur et directeur exécutif d’InterGlobe Conseils, un cabinet-conseil spécialisé en communication stratégique et expertise géopolitique. Régis intervient à l’École Nationale Supérieure des Armées à Porto-Novo au Bénin et également en Géopolitique de l’Afrique à l’Université de Reims Champagne-Ardenne. Nous avons rencontré Régis à Paris, pour comprendre la guerre médiatique que se livrent les médias occidentaux et russes actuellement, consécutivement à la crise en Ukraine.

Que pourrait-on comprendre à travers les terminologies « Com de guerre et guerre de Com », que vous avez utilisés en prélude de cet entretien ?

Ces deux terminologies reviennent de façon récurrente, car le monde est dans une situation conflictuelle à divers endroits du monde. Ce sont deux concepts bien différents, mais qui a un moment se croisent.

La communication de guerre est l’ensemble des stratégies qui sont mises en place pour justifier, amender, valider le principe de conflit. Très généralement, lorsqu’elle arrive au point optimal, la communication de guerre devient de la propagande de guerre. En communication, on parle davantage de propagande, car elle a pour but d’atténuer ou d’amplifier de façon à ce qu’une guerre qui est par définition une destruction devienne un fait largement admis.

Pour la guerre de communication, nous sommes davantage dans une confrontation idéologique et communicationnelle entre deux ou plusieurs parties ; car souvent les guerres ne sont pas forcément bilatérales, mais elles peuvent être multilatérales. Aujourd’hui, il suffit de regarder la guerre qui se passe en Europe de l’Est entre l’Ukraine et la Russie. Nous sommes à la croisée entre la communication de guerre et la guerre de communication, entre la propagande de guerre et la guerre de communication.

Comment analysez-vous les prises de position ainsi que le traitement médiatique sur le conflit en Ukraine ?

Le conflit est largement traité par tous les médias, par toutes les presses. La presse de France est mon périmètre de travail et je l’analyse quotidiennement. La presse de France ou celle de l’Occident traite favorablement l’information du côté de l’Ukraine. C’est aussi un conflit de blocs politiques.

L’Ukraine aujourd’hui a davantage les faveurs des médias occidentaux. A contrario, la Russie a évidemment la faveur du Kremlin et les organes de presse qui en sont proches. Au-delà, de l’Europe, il y a un traitement mesuré en Syrie et au Venezuela, légèrement pour la Russie. Le géant chinois qui est l’un des proches à la fois stratégique et idéologique de la Russie, traite aussi l’information de façon mesurée.

On est quand même dans un conflit meurtrier ; de ce fait, certains pays font attention dans le traitement et la diffusion de l’information. Il y’a malgré tout l’exigence d’authenticité et l’exigence vis-à-vis de l’histoire. Parce que la communication mise en place aujourd’hui pourra rattraper certains pays demain dans les livres d’histoire et ceux de communication politique.

En complément des sanctions économiques et commerciales prises à l’encontre de la Russie par l’Union européenne, le bannissement des médias russes (RT France et Sputnik) dans la zone Europe est en cours. Que vous inspire cette situation ?

Il y’a beaucoup d’affects et d’émotions. Cela se comprend, car nous sommes en face de situations extrêmement dramatiques. Il suffit de mettre la télé et de voir des hordes de familles qui sont jetées à la rue, des familles ukrainiennes qui croulent sous les bombes.

La commission européenne a pris cette décision de censurer des organes dits de propagande russe parce qu’ils estiment que ces organes ont pour vocation d’amplifier médiatiquement les positions russes et le kremlin. Par principe, je dis non et je suis contre la censure. Si je prends RT, où j’ai eu quelques fois l’occasion d’intervenir, bien sûr c’est une chaîne qui est financée par la Russie, mais il y a une pluralité d’opinions que j’ai pu observer de l’intérieur.

Je trouve que les pays démocratiques et notamment la France, parangon de la liberté d’expression et d’opinion, ont eu la main très lourde. Je ne suis pas convaincu qu’aujourd’hui, RT France et Sputnik qui ont des audiences plutôt moyennes, aient la capacité d’influencer le consommateur d’informations français, au point où ceux-ci commencent à penser de façon pavlovienne aux principes de la justification de la guerre par Vladimir Poutine. En réalité, lorsqu’on dit que Sputnik ou RT sont des organes de propagande russe, ce n’est pas le cas.

Je ne suis pas convaincu qu’aujourd’hui, RT France et Sputnik qui ont des audiences plutôt moyennes, aient la capacité d’influencer le consommateur d’informations français, au point où ceux-ci commencent à penser de façon pavlovienne aux principes de la justification de la guerre par Vladimir Poutine.

La propagande suppose techniquement et idéologiquement que le média en question dispose d’une prédominance dans son expression. Alors que RT évolue dans un environnement largement occidental, largement pluriel avec des médias comme BFM, LCI, RMC, RTL, Le Figaro, Libération et bien d’autres. La propagande aurait pu se justifier si RT et Sputnik avaient été les seuls et si à 95% c’étaient eux qui faisaient la construction de l’opinion publique, ce qui n’est pas le cas. Sémantiquement, il y a une véritable erreur.

Quand on remonte dans l’histoire, sous l’Allemagne nazie, Goebbels était le roi de la propagande et il n’admettait que des organes de presse, des médias qui vantent la suprématie blanche, le primat du nazi sur toutes les autres idéologies, c’est véritablement de la propagande. Si on remonte en Afrique, au Rwanda, la Radio Mille Collines a été considérée par beaucoup comme la radio du génocide, la radio machette. Dans ces exemples, nous avons des médias de la propagande.

Aujourd’hui RT et Sputnik ne sont pas majoritaires en France. Au lieu de les censurer, il faudrait les contrecarrer idéologiquement, argument contre-argument, pied à pied, et ce ne sont pas les arguments qui manquent. La France qui estime être le pays de la pluralité d’opinions aurait pu envoyer un autre message. Bannir ces médias envoie un mauvais signal sur la capacité que les démocraties occidentales ont aujourd’hui d’accepter la contradiction.

Dans le même ordre d’idées, comment réagissez-vous au traitement médiatique des conflits sur le continent africain, notamment au Mali ?

La crise au Mali est toujours traitée par le petit biais et l’orientation à décharge. Je parle de la crise diplomatique même si effectivement, il y’a une crise militaire et insécuritaire. Je préfère m’intéresser à la communication de la crise diplomatique. Les bisbilles diplomatiques entre la France et le Mali ont été largement interprétées par les deux pays de façon globalement antagoniste. Cela n’a pas aidé dans la mesure où très majoritairement les Maliens admettent le principe structurel des autorités de transition qui ont pris le pouvoir à la suite d’un coup d’État militaire.

Aujourd’hui les autorités qui dirigent le Mali ne sont pas celles qui ont été élues, mais il faudra faire avec elles, car ce sont elles qui gèrent les affaires du quotidien et certainement aussi celles du futur. Par contre, la France officielle, dans sa communication, est entrée en contestation de ces autorités. Quelque part, ça réveille le surplus de souveraineté, qu’on peut retrouver dans certains milieux de la société civile africaine. Cela va même au-delà de la société civile africaine, c’est devenu l’opinion publique que cela insupporte.

Le traitement médiatique fait par la presse française, a souvent cette tendance à renvoyer une image très partielle de l’Afrique et, à se focaliser sur les divergences politiques à l’œuvre sur le continent; cela n’aide pas la compréhension des relations entre la France et l’Afrique, entre la France et le Mali.

Le traitement médiatique fait par la presse française, a souvent cette tendance à renvoyer une image très partielle de l’Afrique et à se focaliser sur les divergences politiques à l’œuvre sur le continent ; cela n’aide pas la compréhension des relations entre la France et l’Afrique, entre la France et le Mali. Très rapidement, le soupçon a été de penser que les Maliens se seraient trouvé un ennemi commun : la détestation de la France, la francophobie. Non, pas du tout. Il y’ a eu beaucoup de communication attestant que les Maliens seraient dans la haine des Français. Absolument pas du tout, je le répète. Cette forme de communication, je la trouve perverse et malfaisante dans la mesure où ce que les Maliens veulent, c’est d’abord le changement de paradigme dans les relations entre la France et l’Afrique, entre la France et le Mali.

Je pense qu’il faut communiquer sur la façon dont le Quai d’Orsay traite ou admet sa relation avec les pays africains. C’est d’abord sous ce biais que je vois les choses. À mon avis, certains médias français et quelques occidentaux, commettent parfois ce péché de suffisance et d’arrogance, qui n’aide pas la concorde et dans les relations apaisées entre les peuples.

Comment percevez-vous l’orientation éditoriale de certains médias mainstream dans le traitement de l’actualité autour des relations russes avec certains pays d’Afrique comme le Mali et la Centrafrique ?

Cela bien avant l’invasion toute récente de la guerre de Vladimir Poutine contre l’Ukraine de Volodymyr Oleksandrovytch Zelensky, les médias mainstream (les grands médias, Ndlr) qui ont la capacité d’avoir une audience beaucoup plus large, à travers des reportages ont traité l’annonce des nouveaux partenariats, des nouvelles coopérations entre la Russie et certains pays africains. Ils montraient que c’étaient non seulement des partenariats nuisibles puisqu’elles venaient damer le pion à la France et, surtout qu’elles venaient aussi profiter des richesses minières de ces pays, profiter du fait que les gouvernements qui étaient là selon la France étaient totalement illégitimes.

La France et l’Occident considèrent que le groupe paramilitaire Wagner est le cheval de troie du Kremlin, qui revient en Afrique avec des intentions carnassières et de prédation. Je trouve ce traitement biaisé. Effectivement, ça fait un moment que les Russes sont revenus sur le continent africain. En tant que communicant et analyste, j’estime que la sécurité des pays africains doit être déléguée d’abord et exclusivement aux armées africaines. Aujourd’hui c’est cette délégation de pouvoir sécuritaire qui fait qu’aujourd’hui Wagner est au Mali. Tout ceci n’est pas que la faute de la France. Il y a cette tendance sur le continent africain de tout mettre sur le dos de l’ancienne puissance coloniale. C’est d’abord, exclusivement, prioritairement, la question des armées africaines et des pouvoirs africains. La façon dont cela est traité donne l’impression que Wagner est en service commandé pour la Russie et que le projet qui est en cours est celui d’évincer la France en Afrique. Cette communication est improductive et surtout hasardeuse.

Le véritable projet politique sur lequel on devrait plutôt communiquer et sensibiliser, c’est que les armées africaines du sahel, du Mali, du Burkina, de la Centrafrique, du Cameroun, du Tchad soient des armées autonomes, républicaines et professionnelles ; et qu’elles soient en mesure de prendre en charge la question sécuritaire. Malheureusement aujourd’hui, nous avons des acteurs sur le continent africain qui n’ont pas forcément des buts avouables. Mais il faut estimer que la priorité est de faire revenir la paix. Ce n’est pas qu’une question de pratique, c’est aussi une question de rhétorique. C’est en cela que la communication est très importante et la rhétorique aujourd’hui qui est à l’œuvre dans la plupart des médias qui viennent de l’occident, pour moi, c’est une rhétorique déficiente.

A chaque fois où ce narratif sera pris en charge par d’autres puissances à travers leurs médias, il sera toujours biaisé et orienté parce qu’ils le feront en fonction de leurs agendas stratégiques, en fonction de leurs intérêts.

Les médias africains, les médias du Sahel, les médias des 54 pays du continent africain et ceux de leurs diasporas doivent être davantage sur le passage de thématiques comme la paix, la sécurité, la souveraineté. Il y a des sujets qui sont essentiels. La paix, par exemple, n’est pas qu’une question de pratique, c’est aussi une réelle question rhétorique. Le premier Président de la République de Côte d’Ivoire, Félix Houphouët-Boigny, disait que “La paix n’est pas un vain mot, mais un comportement”. Je suis d’accord avec lui, mais les mots ont leur importance, ce qui se dit compte beaucoup, ce qui se fait compte encore plutôt. Il est essentiel que les médias, les journalistes, les communicants africains véhiculent une image réaliste à la fois des certitudes, des peurs, des failles du continent. Bien sûr, il faut être très pragmatique jusqu’à ce qu’on arrive à voir des régimes constitutionnels qui mettent en place des armées professionnelles et qu’il y ait une gouvernance démocratique de celles-ci.

Puisque nous sommes sur un média de communicants, il est impératif que le narratif sur l’Afrique change, mais il ne changera que si les africains le prennent en charge. À chaque fois où ce narratif sera pris en charge par d’autres puissances à travers leurs médias, il sera toujours biaisé et orienté parce qu’ils le font en fonction de leurs agendas stratégiques, en fonction de leurs intérêts. Ce qui n’est pas condamnable. C’est plutôt aux africains, aux pouvoirs africains, à la société civile africaine et à vous et moi de véhiculer une image réaliste de chacun de leurs pays. Nous ne faisons pas non plus rêver, il y’a des choses qui marchent très bien sur le continent et d’autres pas.

Propos recueillis par rédaction.