Konan N’GUESSAN, Directeur Général de l’agence Mañificat Publics Relations, cumule plus de 15 ans d’expérience en communication et relations presse. Ancien cadre de groupes renommés tels que Voodoo Group et Draft fcb Sénégal, il a dirigé des projets de grande envergure, notamment les relations presse pour le Forum Forbes Afrique Congo et l’implantation du groupe IBM au Sénégal.
En tant qu’Associé Partner chez BridgAfricA, Konan apporte son savoir-faire à diverses marques et individus. Récemment, nous avons eu le privilège de le rencontrer pour échanger autour d’un café, discutant de ses récentes réalisations et des dernières tendances en matière de communication en Afrique.
Naole Média: Monsieur N’guessan, pouvez-vous nous parler de votre livre « Comment tirer profit des relations presse en Afrique » et de ce qui vous a inspiré à l’écrire ?

Konan N’guessan: Tout est parti d’un constat qui émane de la pratique quotidienne de mon métier avec les dirigeants des organisations et leurs agents en charge de la communication. Ils circonscrivent la pratique des relations presse autour d’activités ponctuelles relatives aux événements heureux ou malheureux qui touchent directement ou indirectement, leurs marques, leurs entreprises ou leurs organisations respectives. D’où, en l’absence desdits événements, ces organisations travaillent recluses sur elles-mêmes, pendant des mois, voire des années, sans tirer profit des services d’expositions stratégiques qu’offrent les journalistes et des médias.

En effet, qu’elles soient des organisations commerciales ou non commerciales, des marques ou des personnalités publiques, elles s’adressent à des audiences spécifiques qui ont fréquemment besoin de les écouter, de les lire, de les toucher, de les voir, de discuter avec elle, à tout moment, tout au long de l’année. Pour y arriver, les gestionnaires de la communication doivent faire de la pratique des relations presse un rituel stratégique permanent, pour raconter des histoires qui seront relayées par les journalistes et les médias à destination de leurs parties prenantes.

Cet ouvrage les aide à construire les arguments solides, à penser stratégie et à déployer des actions qui produisent un impact durable, mesurable au bénéfice de leurs organisations.  Je partage avec les lecteurs des expériences éprouvées, des expériences réussies ainsi que les erreurs à éviter, issues de mes interactions avec de grandes multinationales, des personnalités et des entreprises locales.

Dans votre essai, vous parlez de l’influence des médias sur l’opinion publique. Pourriez-vous nous donner des exemples concrets de la manière dont les médias peuvent manipuler ou biaiser l’opinion des citoyens ?

Les médias influencent l’opinion publique, c’est un fait et c’est un constat empirique. Les histoires relatées par les journalistes et les médias classiques de renom sont consommées, elles sont absorbées par l’opinion publique, sans commentaires. Parce que cette opinion publique fait confiance et croit en ce que ces médias et journalistes leurs racontent. Dans mon livre, j’ai analysé l’histoire qui avait secoué la filière du cacao en Côte d’Ivoire, histoire relative ‘‘au travail forcé des enfants dans les plantations ivoiriennes’’.

Ce sujet était couvert par les médias internationaux et relayé dans le monde entier avec pour objectif inavoué de ternir l’image de marque des produits du premier producteur mondial, le contraindre à s’aligner aux décisions des lobbies d’achats, de vente et de transformation du cacao made in Côte d’Ivoire. Même les ivoiriens qui n’ont jamais fait l’expérience d’un champ de cacao ont ingéré cette histoire. Que dire des autres citoyens du monde qui n’ont jamais vu de plantations de cacao de leur vie et qui voyaient défiler ces informations en boucle sur les écrans des télévisions et les écoutaient en boucle sur les ondes des radios ? Pour ces opinions publiques nationales et internationale, la maltraitance des enfants dans ces plantations est un fait réel. Donc il s’en suit en conclusion que payer le cacao de cote d’ivoire implique de cautionner cette maltraitance des enfants… Ce qui n’est pas vrai. J’ai, à plusieurs reprises, côtoyé des planteurs et visité des villages. L’histoire relayée est tout autre que la réalité vécue sur le terrain. Malheureusement, ni l’état de Côte d’Ivoire, ni les dirigeants de la filière n’avaient pas préparé de réponses appropriées, que dis-je n’ont pas de réponses appropriées face à de telles situations. Je propose, effectivement, dans le livre des pistes de réflexions stratégiques et efficaces pour anticiper voire réagir au cas échéant.

Vous avez débuté votre carrière en tant qu’assistant chargé du sponsoring à la Banque Populaire de Côte d’Ivoire. Comment votre parcours professionnel a-t-il évolué depuis cette période jusqu’aujourd’hui?

L’eau a vraiment coulé sous le pont. Je totalise aujourd’hui vingt ans de pratique du métier en Afrique. C’est effectivement à la Banque Populaire de Côte d’ivoire, (ex CECP, ex CNCE) que j’ai démarré ma carrière professionnelle, en Septembre 2003. C’est également, en compagnie de mes anciens collaborateurs et patrons, que j’avais assisté pour la première fois à une opération stratégique de relations presse en 2004. Je raconte d’ailleurs l’histoire de cette première expérience dans le livre. Je profite de cette lucarne pour remercier Mme Nathalie Barte Touré, directrice marketing et communication de la banque populaire de Côte d’Ivoire qui m’a formé et façonné à la pratique du métier au début de ma carrière.

Suite à mon expérience dans l’industrie bancaire, le Sénégal fut mon pays d’accueil. J’y ai fait le tour des grandes régions du pays pour promouvoir l’usage des moustiquaires imprégnées avec l’agence FCB Sénégal, pendant deux ans. Une expérience fascinante au contact des populations urbaines et rurales, de Dakar à Linguère en passant par Touba et Thiès. J’ai ensuite rejoint l’agence Dakcor en qualité de planeur stratégique et plus tard comme directeur commercial et de la stratégie, avant de me faire recruter par Voodoo Group, pour diriger la filiale du Gabon en 2012 puis celle du Sénégal de mi 2013 à Janvier 2018.

En Décembre 2017, après avoir gagné 3 appels d’offres d’agence conseils, notamment ceux de Société Générale Sénégal, Vivo Energy Sénégal et UVS pour le compte de l’agence Voodoo Communication Sénégal, je décidai de démissionner pour me consacrer au métier des relations publics avec Manificat Public Relations, l’agence que je venais de fonder. Depuis, j’aide nos clients à parvenir au succès sur leurs territoires en Afrique subsaharienne francophone, à augmenter leur taux de rendement, à maintenir la confiance et à fidéliser leurs publics sur leurs marchés.

Vous avez une vaste expérience en relations presse en Afrique. Pouvez-vous nous parler des principaux défis auxquels sont confrontées les entreprises qui cherchent à tirer profit des relations presse dans cette région ?

Les entreprises qui doivent tirer profit des relations presse en Afrique sont confrontées à deux défis majeurs : la méconnaissance du métier et la formation des dirigeants.

En effet, la méconnaissance de la pratique du métier des relations publics ne leur permet pas d’en faire un usage stratégique bénéfique pour leurs prises de paroles. Il m’est arrivé de voir des chargés de RP dans des entreprises dont la fonction et les attributions se résumaient à l’accueil, à l’installation et à la gestion des partenaires de l’entreprise en séjour dans le pays. Rien que cela. Une fonction totalement mécanique. Comment ces entreprises et institutions peuvent-elles tirer profit des relations publics et des relations presse avec de telles attributions fonctionnelles ?

La formation des dirigeants aux techniques des relations publics et relations presse permettra à ces entreprises d’avoir des ambassadeurs aguerris qui savent mesurer la portée de leurs propos au bénéfice de leurs institutions.

Figurez-vous qu’en 2020, le patron d’une organisation patronale des entreprises, en Afrique de l’Ouest, a refoulé un de mes collaborateurs, le prenant pour un journaliste, seulement à la vue d’un appareil photo numérique de dernière génération qu’il portait en bandoulière. En fait ce patron avait peur des journalistes. Il avait dans son entendement un cliché tout fait du journaliste.  Il s’était écrié « vous êtes venus avec un journaliste ? » j’ai répondu non. C’est un collaborateur photographe qui a pour mission d’immortaliser la rencontre, si vous nous le permettez bien sûr. Il a exigé qu’il sorte de la salle avant de nous recevoir. Si le patron d’une aussi grande organisation patronale se comporte de la sorte, qu’en serait-il des autres dirigeants, entrepreneurs, personnalités publiques… ?

La réputation est essentielle pour toute entreprise. Pourriez-vous nous expliquer comment vous avez surveillé, protégé et défendu la réputation d’Emirates pendant les quatre ans où vous avez géré leurs relations presse sur les marchés du Sénégal, de la Côte d’Ivoire et de la Guinée Conakry ?

Au début, en 2013, ma prestation pour le compte de la compagnie aérienne Emirates se limitait au marché du Sénégal. Une de mes missions consistait à faire de la veille informationnelle pour analyser les mentions du nom de la compagnie au Sénégal tant dans la presse ligne, sur internet et les réseaux sociaux, que dans les médias classiques. Cette veille nous permettait de comprendre les significations des mentions du nom de la marque. Ces mentions avaient-elles des connotations, des résonances positives, neutres ou négatives ? Pour ce faire, j’avais souscrit à des alertes qui me parvenaient automatiquement, une fois que quelqu’un au Sénégal faisait mention d’Emirates sur internet et dans les médias classiques. Cette veille à elle seule m’aidait à surveiller, à protéger et à défendre la réputation de la marque. 

Outre la veille, il m’appartenait de jouer pleinement mon rôle de conseiller et stratège. J’élaborais en fin d’année un plan annuel de relations presse que je devais dérouler au Sénégal avec les journalistes et les médias, en plus de la diffusion des communiqués de presses et des brèves spéciales à ma base de données de journalistes et des médias. De la satisfaction de mes prestations, la compagnie nous a assigné en 2015 le marché de la Côte d’Ivoire et en 2016 celui de la Guinée Conakry.

Tenez-vous bien. En 2016, à l’aéroport de Dakar, le vol d’Emirates avait été détourné pour neutraliser un présumé terroriste. Face à cet incident, il était de mon ressort de donner des directives à prendre pour protéger et défendre la réputation de la marque. J’avais recommandé à l’équipe des RP de la compagnie à Dubaï, à qui je rapportais, de ne pas réagir. Pourquoi ? Parce qu’il s’agissait d’un problème qui incombait les services de sécurité de l’aéroport de Dakar. C’était à eux qu’il appartenait de contrôler l’identité des voyageurs avant de les admettre sur les vols. Les compagnies n’étant que des transporteurs. Heureusement, il s’agissait d’une fausse alerte. Les autorités de l’aéroport et celles de la surveillance du territoire avaient ensuite émis un communiqué pour faire la lumière sur la situation, tout en profitant pour désengager l’implication de la compagnie Emirates. Gérer les relations presse d’une marque requièrent un état d’esprit créatif et alerte sur son marché, un sens du contact et du relationnel.

Vous avez travaillé avec des multinationales renommées telles qu’IBM, L’OREAL PARIS, FORBES AFRIQUE et Emirates. Pouvez-vous partager une expérience particulièrement marquante ou un défi que vous avez dû relever lors de la gestion des relations presse pour l’une de ces entreprises en Afrique?

J’adore travailler avec les multinationales parce qu’elles savent à l’avance ce qu’elles recherchent et les objectifs qu’elles veulent atteindre avec les relations presse. Pour cela, avant toute collaboration, elles administrent des briefs qui détaillent leurs besoins. C’est sur cette base que je propose la recommandation stratégique d’accompagnement ainsi que la proposition financière. Je raconte et explique dans le livre, avec des détails et des conseils pointus la manière dont j’ai piloté les opérations de relations presse de ces multinationales en Afrique.

Il est courant de constater en Afrique francophone que des journalistes proposent des prestations en relations presse en parallèle à leur travail journalistique. Comment percevez-vous ce phénomène et quelles sont les implications, selon vous, pour l’éthique et l’objectivité dans le domaine de l’information et de la communication en Afrique?

Le fait que les journalistes proposent des prestations de relations presse aux organisations n’est pas une mauvaise chose en soi dès lors que ces derniers traitent les informations avec objectivité en se basant sur les faits. Malheureusement, triste est de constater que ces prestations ne sont que des accompagnements mécaniques adossés sur des sujets évoqués par l’entreprise. Lorsque ces journalistes comprendront que leurs prestations doivent être assujetties à des obligations de résultats sur une période donnée, je me réjouirai, parce que leur accompagnement deviendra beaucoup plus stratégique que mécanique. Et ce sont les entreprises et les dirigeants qui en tireront grand profit.

En votre qualité de DG de Mañificat Publics Relations, quelles sont les principales stratégies que vous préconisez pour que les entreprises réussissent dans leurs relations presse en Afrique?

Chaque entreprise est unique. Chaque personnalité est unique. Chaque projet est unique. Ces entreprises, ces personnalités, ces marques et ces projets sont des terreaux d’histoires à vous couper le souffle. Dès lors que nous les appréhendons dans leurs essences, il nous revient très aisée de mener nos clients vers le succès sur leurs marchés. Nous les amenons à se redécouvrir avec notre outil de déclaration de mission et des principes directeurs.

Nous prenons le temps de bien connaitre nos partenaires, de les écouter, de comprendre leur marché, leurs publics et les enjeux auxquels ils font face. Connaitre aussi les habitudes de consommation des médias de leurs parties prenantes demeure un défi capital. C’est bien après ces analyses approfondies, que nous aidons nos clients à formuler des objectifs smart, à atteindre sur une période bien identifiée. Nous consignons l’ensemble de nos réflexions dans un plan stratégique de relations presse que nous déroulons ensuite.

Aussi, ayant compris la force de la formation des dirigeants, nous proposons des programmes de formations sur des thématiques simples comme comment se comporter et se tenir lors d’une interview télévisée ? Et bien d’autres sujets de de media training. Je forme également les directions de communication des organisations, des entreprises et des marques à la formulation pas à pas de leurs plans stratégiques de relations publics et de relations presse. J’adapte très souvent mon agenda, selon les sollicitations des uns et des autres.

En en tant qu’auteur et expert en relations presse, quel message aimeriez-vous transmettre à la prochaine génération de professionnels de la communication en Afrique?

J’ai eu la chance et je rends grâce à Dieu pour cela. Je pratique au quotidien les métiers pour lesquels j’ai été formé à l’université Alassane Ouattara de Bouaké. J’ai suivi tout mon cursus scolaire, secondaire et universitaire dans les écoles publiques ivoiriennes. Je suis donc un pur produit de la formation publique de la Côte d’Ivoire.  Je me suis ensuite amélioré à la tâche, à la recherche de l’excellence. Parce que c’est en forgeant que l’on devient un forgeron chevronné, un forgeron pointu et expert dans son domaine, comme le dirait mon ami et frère Jean Jacques GOSSAN, Managing Partner chez BridgAfricA.

Après plus de quinze années passées dans l’industrie de la publicité pure et dure, j’ai décidé d’y mettre un terme pour embrasser une niche du métier très peu exploitée voire négligée en Afrique. J’ai pris un risque. Un risque qui a ses conséquences. Mais comme le dirait l’autre, l’on ne peut pas faire des œufs au plat sans casser les œufs. Il faut passer par cette étape sacrificielle. C’est le chemin pour grandir. C’est la voie pour faire entendre notre voix, la voie pour faire bouger les lignes. Heureusement, les dirigeants et les gestionnaires de la communication commencent progressivement à adopter un budget annuel alloué spécialement pour le conseil et l’accompagnement en RP. Ce n’est pas encore gagné, mais je continue optimiste accroc à la tâche. Ceci pour encourager les jeunes gens où qu’elles soient à croire en elles, à profiter du système éducatif auquel elles sont issues tout en ayant des buts et des ambitions claires. Forger comme un forgeron demande de la patience, de la science, de la précision et de la passion. Forgez-vous un mental de gagneur. Fuyiez l’appât du gain facile.  Ayez confiance en vous et en vos capacités. Tôt ou tard, vos efforts seront reconnus et promus. Prenez des temps de méditation et entretenez une relation franche avec Dieu. En ce qui me concerne, je suis chrétien catholique, ma foi me canalise et m’aide à transcender les situations qui paraissent indomptables pour les dominer à la fin. 

Pour celles qui veulent s’orienter dans la communication et embrasser le métier des relations publics, bienvenue ! Pour réussir dans ce métier il vous faut aimer les êtres vivants. Les aimer suppose les connaitre, les fréquenter, tisser et entretenir une relation de confiance avec eux. Si tu fais cela, bravo, tu es sur le bon chemin. Parce que ce sont les êtres humains que tu vas conseiller, des gens qui ont des sentiments. Et ces êtres humains travaillent pour séduire et défendre d’autres êtres humains, pour protéger des causes vivantes, des êtres vivants. Au-delà des concepts méthodologiques, il vous faudra un fort ancrage sociologique pour réussir.

Pour terminer, si vous aviez l’opportunité de déguster un café avec un.e communicant.e africain.e, sur qui se porterait votre choix et pourquoi ? 

Mon choix se porterait à coup sûr sur Martine Coffi Studer. Une dame qui a de l’audace. Une dame intelligente, stratège et créative. Elle a bâti, en tant que femme, un grand groupe de conseil en communication en Afrique. J’admire son audace, son assurance, son courage, sa détermination. Durant cet instant café, je me réjouirai à écouter ses histoires et lui partager les miennes.

Merci à Naole Media pour cette noble initiative qui consiste à donner de la visibilité aux acteurs de la communication et des médias.

Propos recueillis par Cyrille Djami.