Le monde d’aujourd’hui est inondé d’informations, et il peut s’avérer difficile de faire la distinction entre ce qui est vrai et ce qui est faux. C’est là que les professionnels du fact checking entrent en jeu. Ils travaillent sans relâche pour vérifier l’exactitude des informations et aider les gens à prendre des décisions éclairées. Aujourd’hui, nous avons la chance de prendre un café express avec Donald Tchiengue, un expert en fact checking et Communication Coordinator chez #DefyHateNow. Nous allons explorer son travail passionnant et en apprendre davantage sur l’importance de la vérification des faits dans notre société d’aujourd’hui.

DefyHateNow, l’organisation pour laquelle vous travaillez, mène régulièrement des actions pour détecter et contrer les fake news et les discours de haine en ligne au Cameroun. Pouvez-vous nous en dire davantage ?

En effet, DefyHateNow est une initiative qui existe au Cameroun depuis 2019 et portée par Civic Watch Cameroon, avec le but de consolider la paix et la cohésion sociale en luttant contre les discours de haine, la désinformation, la cybercriminalité et toute forme de violence ou d’incitation à la violence en ligne. À cet effet, elle œuvre à amplifier la voix, à soutenir les actions et à renforcer les capacités des organisations communautaires, de jeunes et des médias à devenir des influenceurs positifs de la Paix à partir des TIC.

Pour ce faire, DefyHateNow au Cameroun procède par la réalisation régulière des campagnes de sensibilisation et de communication sur l’éducation aux médias et à l’information et sur les stratégies d’atténuation des discours haineux en ligne. Également, elle travaille à créer un cadre crédible entre différents acteurs de la société pour la promotion du dialogue interculturel et interreligieux dans le but de renforcer la cohésion sociale et le vivre ensemble entre communautés locales.

Par ailleurs, elle est à l’initiative de plusieurs programmes de renforcement de capacités de professionnels, notamment le programme Africa Factchecking Fellowship Cameroon (#AFFCameroon) ; qui vise à promouvoir la vérification des faits, le journalisme de données et les droits numériques aux journalistes, blogueurs et créateurs de contenu en Afrique. Ce programme de trois mois vise à doter les boursiers des compétences et des outils nécessaires pour relever les défis actuels de la diffusion de fausses nouvelles. En 3 ans d’existence, le programme #AFFCameroon a déjà formé plus de 115 journalistes, créateurs de contenu et leaders d’opinion ; et dispose d’une plateforme indépendante de vérification de faits et d’analyse de tendance en ligne www.237check.org.

Aujourd’hui, comment percevez-vous l’état de la propagation des fake news et des discours haineux en ligne au Cameroun ?

La démocratisation de l’usage des TIC au Cameroun a grandement facilité l’accès à l’information, améliorant ainsi la création et la diffusion de l’information par des acteurs qui ne possèdent pas souvent des dispositions techniques, éthiques et professionnelles. C’est dans ce contexte qu’ont surgi la crise dite « anglophone » en 2016 et la crise sociopolitique liée aux élections de 2018, contribuant à accroitre la propagation des discours haineux et des fausses informations. Face à l’ampleur de ces menaces sur la cohésion sociale et le vivre ensemble au Cameroun, plusieurs organisations et associations, notamment DefyHateNow West & Central Africa, ont vu le jour pour endiguer le phénomène. Plus de 3 ans après, même si les discours haineux et les fake news restent perceptibles dans les interactions en ligne au quotidien et dans les médias classiques, il faut reconnaitre des avancées notoires en termes de sensibilisation et de formation avec comme conséquence une prise de conscience progressive des enjeux par un segment de la population. Par exemple, il est de plus en plus récurrent de voir sous des publications douteuses sur les réseaux sociaux, des individus qui laissent des commentaires pour dénoncer une fake news ou appelant à vérifier avant de partager.

La prolifération des discours haineux et des fake news, dans certains cas, constitue un prétexte pour les pouvoirs publics pour restreindre abusivement les libertés d’opinion et les droits numériques ; et à museler par la même occasion des médias indépendants ou la parole publique.

Comment les fake news et les discours de haine peuvent-ils constituer une menace pour la stabilité sociale sur le continent en général et dans votre pays en particulier ?

Il faut tout d’abord préciser qu’en Afrique de manière générale et au Cameroun particulièrement, l’usage des TIC s’opère à l’absence d’un cadre réglementaire et juridique mis à jour répondant efficacement aux impératifs socio-sécuritaires. Face à une telle limite, il est possible pour un internaute d’influencer ou modifier l’agenda informationnel, sociopolitique et/ou sécuritaire d’une communauté ou d’un État juste en utilisant de façon malicieuse les réseaux sociaux. Donc, en relayant en longueur de journée des fausses informations et des discours haineux, il est possible d’induire l’opinion publique en erreur, d’affaiblir le rôle et la communication de l’État, de nuire à la compétitivité des entreprises privées ou simplement de ternir l’image ou la réputation d’un individu.

Aussi, il importe de préciser que la prolifération des discours haineux et des fake news, dans certains cas, constitue un prétexte pour les pouvoirs publics pour restreindre abusivement les libertés d’opinion et les droits numériques ; et à museler par la même occasion des médias indépendants ou la parole publique.

Quels sont les différents types de fake news les plus fréquents et quel lien faites-vous entre les fausses informations et les discours de haine en ligne ?

Nous devons savoir que toutes les informations considérées comme erronées ne sont pas créées dans le même but. Il existe différents niveaux de fausses informations. À DefyHateNow, nous distinguons trois principaux niveaux de fausses informations :

  • Mésinformation qui consiste à partager des informations incorrectes sans toutefois savoir qu’elles sont fausses.
  • Désinformation qui consiste à partager délibérément des informations erronées dans le but de tromper ou de manipuler les autres. L’intention clairement est de nuire.
  • La mal-information qui traduit l’utilisation des informations qui peuvent être vraies ou non, pris d’une autre situation, mais partagées dans un autre contexte uniquement dans le but d’infliger un préjudice, que ce soit à un individu ou à un groupe plus large.

Le lien qui existe entre discours haineux et désinformation s’appuie sur un fait simple : Dans la plupart de cas, quand on n’aime pas quelque chose ou quelqu’un, on est souvent tenté de diffamer ou créer des mensonges pour amener d’autres personnes à s’inscrire dans notre posture. Et vis vers ça, diffamer ou mentir, contribuer à alimenter la haine et le rejet d’une personne ou d’un groupe de personnes. Au Cameroun par exemple, lors des élections présidentielles de 2018, il existait deux camps qui s’affrontaient violemment en ligne en utilisant régulièrement des propos injurieux et des fausses informations dans le but de discréditer au maximum les camps opposés pour obtenir plus de voix durant le scrutin. Sauf que les conséquences de tels actes vont au-delà des velléités politiques pour engendrer la stigmatisation, le tribalisme, la violence, voire les conflits. Le cas du génocide rwandais nous renseigne à suffisance sur ce cycle de haine.

Lorsque l’occasion nous est donnée, nous ne manquons pas de nous rapprocher des autorités locales, nationales et internationales pour plaider en faveur d’une plus grande prise en compte de ces questions dans l’élaboration des politiques publiques ; mais aussi la conduite de l’action publique.

Comment comprendre le plaidoyer que vous avez récemment initié, en faveur d’une loi sur la lutte contre les discours de haine en ligne au Cameroun ?

Notre idée du plaidoyer part du principe qu’avant de plaider pour une amélioration du cadre législatif et de politiques en faveur de la lutte contre les discours haineux, il revient à chaque acteur de la société, fut-il petit, de contribuer à la consolidation de la paix au Cameroun en adoptant des comportements responsables en ligne et hors ligne pour éviter de heurter ou de nuire à l’image de son prochain. Parce qu’il est primordial d’opérer un changement de mentalités au sein des communautés au préalable, à DefyHateNow, nous engageons régulièrement des dialogues interculturels et interreligieux avec les leaders communautaires et religieux pour les sensibiliser sur les questions de discours haineux et de la nécessiter de la cohésion sociale dans un cadre pacifique et harmonieux pour l’épanouissement des collectivités locales. Par ailleurs, lorsque l’occasion nous est donnée, nous ne manquons pas de nous rapprocher des autorités locales, nationales et internationales pour plaider en faveur d’une plus grande prise en compte de ces questions dans l’élaboration des politiques publiques ; mais aussi la conduite de l’action publique.

Il est à noter également que ce plaidoyer se manifeste par des campagnes de communication que nos partenaires, nous boursiers et nous même, menons régulièrement dans des établissements scolaires. Notamment des campagnes #PenNotGun #HateFreeZone #HateFreeCameroon ou #SafeDigitalSpacesNow

Quelles étapes simples les usagers des réseaux sociaux pourraient-ils utiliser pour déceler les fake news ?

Pour les internautes qui ne maitrisent pas forcément les techniques journalistiques de vérification de faits, nous préconisons de toujours adopter la culture #ThinkB4UClick qui se traduit en ces étapes :

  • Face à un contenu en ligne, toujours chercher la source de l’information. Qui en est son auteur.
  • Toujours questionner les motivations de l’auteur d’une publication. Pourquoi partage-t-il/elle cette information ? Il est important de toujours questionner un contenu à forte charge émotionnelle.
  • Vérifier la date d’un article, et également le lieu.
  • Mener une contre vérification en analysant les commentaires sous une publication (pour déterminer si la publication est un troll, sarcastique ou si un autre internaute apporte une contre-vérité) et surtout en consultant les brèves d’informations de médias considérés comme crédibles ;
  • Toujours lire au-delà du titre ou ne pas se limiter à un titre d’article pour se faire sa propre idée d’une information ;
  • Aussi, il faut toujours de méfier des contenus absolus ou radicaux où les faits sont exagérés dans la plupart de cas. Si un contenu semble trop beau pour être vrai, c’est probablement le cas. Ou si le contenu est exclusivement péjoratif, il n’est peut-être pas exact non plus.

Quelques outils permettant de traquer les fake news ?

Il existe plusieurs outils en ligne pour détecter les fausses informations, accessibles facilement. Dans le cadre de la bourse #AFFCameroon, avec nos boursiers, nous travaillons régulièrement avec smallseotools, Google Image Reverse, Invid et TinEye.

Si vous deviez prendre un café express avec un.e professionnel.le africain.e du fact checking, sur qui se porterait votre choix et pourquoi ?

Je dirais Ngala Desmond Ngala ou Paul Joel Kamtchang de adisi Cameroun (rires), avec qui je travaille dans le cadre de #AFFCameroon. Ils font un travail extraordinaire pour la paix et la gouvernance ouverte au Cameroun en menant tellement d’activités dans le cadre de la lutte contre discours haine pour le premier et la promotion du data journalisme pour le second. Mais je pense surtout à Hamadou Tidiane Sy, qui est l’un de plus grands journalistes indépendants africain et qui œuvre grandement à l’introduction du Factchecking en Afrique francophone. Il fait partie du conseil d’administration d’Africa Check, l’un des plus grands réseaux de Factchecking en Afrique.