Donatien KANGAH KOFFI est un consultant en nouveaux médias et communication et le coordinateur de l’observatoire des discours de haine au sein d’Internews Côte d’Ivoire. Nous l’avons rencontré autour d’un café, pour parler du désordre informationnel et la prolifération des contenus non vérifiés sur les réseaux sociaux dans son pays, la Côte d’Ivoire.

Café Express.

Désinformation, infox, information malveillante… Que vous évoquent ces différentes notions ?

Ces notions se résument à une autre notion conceptuelle plus large : les « désordres de l’information ». Cela fait allusion à l’environnement actuel de l’écosystème de l’information où tout paraît confus. Le vrai mélangé au faux, la propagande se présente sous les habits de l’information, idem pour la communication vis-à-vis du journalisme.  Tout le monde se dit journaliste. On peut faire de la télé depuis son écran de téléphone… Bref, l’essor du numérique s’est malheureusement accompagné de ce désordre dans lequel le contenu informationnel n’est plus le seul apanage des professionnels des médias tels qu’on le connaissait il y a moins de 30 ans.

Comment lutter efficacement contre le désordre informationnel qui menace la stabilité sociale en Côte d’Ivoire aujourd’hui ?

Je vois une lutte à 3 piliers : Formation, Régulation et Recherche. L’urgence, c’est la formation. D’aucuns diraient la sensibilisation vu l’importance du défi. En effet, c’est toute la société ivoirienne, dans ses différentes composantes, des élites au citoyen le moins nanti, des professionnels des médias aux non professionnels…

En Côte d’Ivoire, on a voulu réprimer (loi sur la cybercriminalité datant de 2013) avant d’orienter (loi d’orientation datant de 2018), alors que « nous sommes tous tombés là-dedans » (pour reprendre une célèbre rhétorique publicitaire ivoirienne) sans préparation.  Ça ne marche pas parce que ceux qu’on réprime deviennent, dans notre contexte socio-politique clivant actuel, des martyrs aux yeux de l’opinion. 

Une fois que nous aurons réellement formé et sensibilisé sur le sujet, nous pourrons mieux apprécier l’efficacité de la répression et de la régulation, qui elles-mêmes doivent aussi s’appuyer sur une législation actualisée, moins floue, plus claire pour faciliter son application.

La surveillance du phénomène, et partant la recherche sur les moyens de lutte, représente à mon sens, le troisième pilier de la lutte. Pour caricaturer, on parle de plus en plus de « #deepfake », là où certains professionnels en sont encore à réfléchir aux « #fakenews » classiques… 

Avec la prolifération des contenus non vérifiés des divers utilisateurs sur les réseaux sociaux (Facebook, WhatsApp, Twitter) comment protéger les populations face aux informations malveillantes ?

Tant que les gens ne feront pas preuve d’esprit critique, aucune protection technique ne sera vraiment efficace. C’est pourquoi, il me paraît pertinent de former. On parle beaucoup d’Éducation aux médias et à l’information, en référence à toutes ces actions qui consistent à outiller les citoyens dans leur appropriation critique des médias et de leurs contenus, les médias étant entendus d’un point de vue large, incluant les nouveaux médias (les plateformes digitales Ndlr.). Cela est d’autant plus nécessaire qu’Internet a libéré de façon quasi irréversible l’accès à l’information. L’EMI est devenu aujourd’hui une éthique à enseigner quasi-obligatoirement.

En dix mois d’existence de l’observatoire des discours de haine au sein d’Internews Côte d’Ivoire, quel bilan faites-vous des activités de l’organisme que vous dirigez et quelles sont vos projections futures ?

En 10 mois, nous avons régulièrement à travers nos rapports hebdomadaires, mensuels, et spéciaux, réussi à documenter et de ce fait, révéler un phénomène dangereux, dont les ivoiriens étaient en train de s’accommoder par la promotion de la culture du « malparlage »… Les violences que nous avons connues en 2020 ont pu alerter sur la gravité de la situation, vu que ce n’est que le résultat de l’atmosphère haineuse qui a prévalu dans le pays. Et Internet a été utilisé de manière accrue dans l’exacerbation de cette situation. Nous pensons donc avoir contribué à positionner dans le débat public le sujet des discours de haine en ligne.

Aujourd’hui, les gens sont attentifs à la portée haineuse de leurs propos sur Internet. On se rend compte par exemple que les gens sont devenus prompts à supprimer certains types de publications dont ils se seraient glorifiés il y a quelques mois. Il y a certes encore, des adeptes de la haine en ligne qui prospèrent mais pour nous c’est déjà une satisfaction, même si nous sommes conscients que cet acquis crée de nouveaux défis. Par exemple, celui d’une compréhension juste du concept, pour éviter son détournement au profit d’une certaine forme de censure. 

Nous avons aussi réussi à mobiliser des acteurs des médias et de la société civile sur la thématique (la lutte contre les discours de haine en ligne, ndlr.). Il existe une coalition d’une trentaine d’organisations et structures à travers le pays, qui s’est dédiée à  la lutte contre les discours de haine en ligne. Une initiative qui a d’ailleurs fait des émules, puisqu’on a noté la naissance d’un à deux autres réseaux du genre.