Paola Audrey NDENGUE est une entrepreneure, consultante et productrice basée en Côte d’Ivoire. En mai 2020, elle lance et produit « Le Débrief », une émission hebdomadaire consacrée à l’actualité africaine. En quelques mois, l’émission est un véritable succès digital et la saison 2 est très attendue par l’audience. Nous sommes allés à la rencontre de cette éditorialiste très engagée dans les luttes contre les dérives socio-politiques en Afrique.

Vous avez lancé courant 2020 « Le Débrief », une émission 100% digitale sur l’actualité socio-politique sur le continent. Qu’est-ce qui justifie le succès retentissant de ce projet ? 

Paola Audrey : Je pense qu’il y a plusieurs facteurs à prendre en compte concernant le succès du Débrief. Si je me base sur les retours des spectateurs, qui sont les plus à même d’expliquer pourquoi ils apprécient le contenu, je dirais que le premier facteur est le fait d’oser commenter l’actualité avec un ton qui n’est pas très présent dans les médias d’Afrique francophone. On n’est pas complètement dans l’humour, on est plutôt dans le sarcasme. Ce n’est pas un exercice très courant pour l’instant dans l’espace médiatique. Ensuite, vient la curation éditoriale parce qu’on a une sélection d’informations qui par moment reprend ce qu’on retrouve dans les grands médias mais à d’autres occasions, on prend l’information sur les réseaux sociaux ou auprès de sources très confidentielles ou peu suivies. On arrive à mettre en avant des sujets qui peuvent passer à la trappe dans des médias traditionnels. Enfin, je crois qu’il y a le côté discussion à bâtons rompus tout en maintenant de la rigueur dans les prises de position. Le fait d’être face caméra, de faire un monologue etc donne une impression de discussion entre amis dans un salon. C’est d’ailleurs la particularité de l’émission. C’est un format un peu moins formel qu’une émission socio-politique classique. Je pense que de manière générale, nous avons une émission qui a un ton et un format disruptifs.

Quels seront les grands axes de la saison 2 de votre émission et pourrait-on assister à une transition du digital vers la TV ?

P.A : Pour la saison 2, les grands axes concernent le fond et la forme. Déjà, sur la forme nous avons fait des modifications sur le branding de l’émission, que ce soit sonore, visuel, les habillages. Sur le fond, nous allons garder la même trame et être un peu plus précis sur les informations. L’équipe rédactionnelle a justement été agrandie en ce sens. Il y aura un peu plus de sarcasme que dans la première saison où nous sommes allés un peu crescendo, parce qu’il fallait trouver le rythme et le juste milieu quelque part. Pour la deuxième saison, ce sera un peu plus corsé. En ce qui concerne la télévision, on a beaucoup hésité, ça a failli se faire mais après réévaluation, nous avons préféré finalement rester sur le digital pour l’instant… en prenant en compte le contexte politique dans lequel nous sommes. Il nous a semblé plus indiqué de rester sur la toile, qui reste le meilleur moyen de conserver une forme de liberté sur le plan éditorial.

Comment vous organisez-vous pour écarter les Fake News des informations que vous diffusez ?

P.A : Cela demande juste de revenir aux principes du journalisme, d’user de son esprit critique, de vérifier les informations, de se rapprocher des parties prenantes quand c’est possible. Si ça ne l’est pas, de se rapprocher de personnes que l’on considère comme étant suffisamment rigoureuses sur le plan intellectuel pour donner les informations telles qu’elles sont. Il est vrai qu’aujourd’hui c‘est très difficile de distinguer le vrai du faux. Même les meilleurs peuvent parfois se faire avoir, il faut être très minutieux, c’est un combat de tous les instants. Aussi, nous faisons beaucoup de consultations entre membres de l’équipe quand on a un doute ou que l’on a un traitement que l’on veut donner à une information donnée. 

Quel regard posez-vous sur les différents mouvements sociaux observés récemment en Côte d’Ivoire, au Nigeria, au Cameroun etc. du point de vue de l’impact sur le Nation Branding ?

P.A : Ça dépend de chaque pays. Il y a des pays dont le nation branding était plus avancé ou qui jouissaient d’une perception un peu plus positive que d’autres. Pour certains pays, je dirais que les mouvements sociaux n’ont pas véritablement altéré la vision externe qu’on en avait. Je dirais même au contraire, que les mouvements sociaux n’ont fait qu’exacerber déjà ce que l’on percevait du pays en question. Dans l’ensemble, les mouvements sociaux sont un couteau à double tranchant en termes de branding national, car on y retrouve à la fois des aspects positifs et négatifs. Je veux dire que cela peut donner l’image de pays où on a des reculs sur les questions de libertés individuelles ( reculs qui ne sont pas exclusifs au pays Africains comme on en à eu l’exemple cette année ). Mais de l’autre côté, on peut également se dire que ces mouvements sociaux démontrent qu’il y a une jeunesse qui se mobilise, qui est de plus en plus consciente et impatiente de participer au débat public, et cela constitue en soi un point positif. Tout dépend donc de l’angle que l’on prend. On peut se demander s’il n’y a pas un recul de la démocratie, des libertés… ou alors se dire oui il y a un recul qui est un fait et ne date pas d’hier mais ici la nouveauté c’est de voir une jeunesse qui est de moins en moins apeurée, de plus en plus organisée pour faire entendre sa voix et qui sait tirer profit de sa jeunesse et  de sa maîtrise des outils numériques, notamment pour damer le pion à des pouvoirs gérontocrates. C’est une question d’angle de vue. 

Vous avez assuré avec réussite les Relations Publics de plusieurs artistes en Afrique francophone, quelle est la difficulté pour un professionnel des RP de travailler dans le milieu artistique ?

P.A : La plus grande difficulté est la méconnaissance des artistes sur ce qu’on fait, sur ce qu’on est capable de réaliser ou pas. La méconnaissance aussi du marché médiatique. Très souvent les artistes pensent comprendre comment il fonctionne parce que ils ont « dealé » une ou deux fois avec certains animateurs. De ce fait, ils pensent savoir comment fonctionnent les relations presse alors qu’absolument pas. Aujourd’hui, les relations publics sont vraiment un concentré de différents facteurs. Ce n’est pas que la presse, ce n’est pas que les réseaux sociaux. Il y a aussi une question de gestion d’image, et même quand on parle de personal branding c’est encore un chapitre à part entière. Mais je pense malheureusement que ces éléments sont perçus individuellement et de manière partielle. Ils ne sont pas complètement compris par la plupart des artistes qui ne voient qu’une partie spécifique, ou alors la partie immergée de l’iceberg et pas du tout celle qui est en dessous, en coulisses et qui est une somme de petits détails. Alors, soit on a de la chance et on tombe sur des artistes qui sont capables de dire « effectivement ce n’est pas mon domaine, moi je reste dans ce que je sais faire et je laisse mon équipe gérer le reste » soit on a parfois des artistes qui veulent être un peu touche à tout sans forcément comprendre et rendent la tâche de RP extrêmement difficile.